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Queffélec 2018
Publié le 29 mars 2020
J’ai déjà parlé ici et là de Corentin Queffélec donc je ne vais pas re-raconter l’histoire de cette cabane, on m’accuserait de radoter.
C’est au col de la Pierre Saint-Martin une visite rituelle lorsque je reviens dans ce pays de calcaire et de pins tordus, haut, tourmenté et vaste selon l’indissociable et inusable formule d’Haroun Tazieff, dont j’ai fait mon pays de cœur depuis une dizaine d’années.
Je viens de retrouver ces photos de 2018. Nous étions en séjour au mois d’août avec notre nièce Jeanne, à qui j’avais vanté abondamment la beauté de ce pays et à qui on était heureux de le faire découvrir : en fait on a eu deux semaines de brouillards, de pluie, de grêle, ininterrompus comme seule la Pierre sait les offrir. Polaires et chauffage le soir quand toute la France était dans la canicule.
Il faut comprendre que le massif de la Pierre Saint-Martin c’est là où les Pyrénées deviennent de la haute-montagne, mais que l’Atlantique est encore tout proche. Les nuages océaniques y sont amenés par le vent d’ouest, stoppés net par le relief ; le froid montagnard condense l’humidité océanique et voilà :
Moi j’aime la Pierre en tous temps, et comme dit Bernard Plossu « le mauvais temps c’est le beau temps des photographes » ; mais pour des vacances d’été Jeanne n’avait pas été si emballée que ça.
Du coup on lui avait offert une échappée d’une journée vers l’Espagne : généralement il suffit de passer le col pour retrouver le soleil en quelques mètres, ce qui avait été le cas ce jour-là. Visite du joli village fleuri d’Isaba qui faisait la sieste ; farniente ensoleillé au bord d’un torrent ; et remontée vers nos brouillards en fin d’après-midi. L’Espagne nous avait gratifiés d’un bel arc-en-ciel comme pour nous dire qu’on était bien bêtes de ne pas rester de son côté.
Passé le col dans l’autre sens, retour dans un brouillard épais comme je n’en ai jamais vu que là-bas : visibilité pas plus loin que le bout du capot, et la voiture garée d’un côté de la route on ne voyait pas l’autre côté. Je ne pouvais pourtant pas passer là sans aller voir la « cabane de Queff ». Elle se trouve à une cinquantaine de mètres de la route, en contrebas. La Plus Belle Fille du Monde n’était pas précisément ravie de me voir partir seul dans le brouillard (un autre été on a tourné en rond dans le lapiaz pendant une heure tout près de la route aussi, juste de l’autre côté, dans un brouillard moins épais ; et pas fiers qu’on était, les Parisiens en vacances). Mais cette cuvette je la connais bien, et y suis allé assez souvent pour ne pas m’y perdre et pouvoir retrouver la route ensuite. Et puis ça s’éclaircissait un peu quand même (une heure après il ferait beau — la Pierre).
Si j’en crois mes scans de négatif j’ai dû troquer mon objectif de 50mm habituel pour le grand-angle de 35mm que j’utilise deux fois par an, et me rapprocher, pour faire cette photo : la vue précédente sur le film présente le même cadrage, mais, sans doute faite au 50, donc prise de plus loin, ne montre qu’une vague masse sombre informe au milieu du gris.
Depuis que je fréquente le coin la cabane se délabre chaque année un peu plus. Le temps, le soleil, la neige et le vent, bien plus que le vandalisme. Je n’en fais pas spécialement un projet photo mais ne peux pas m’empêcher de prendre des photos, les mêmes à chaque fois.
Le volet de la grande baie vitrée donnant sur la prairie qui était à moitié arraché la dernière fois, était tombé totalement et gisait plus bas. On pouvait voir l’intérieur, quoique difficilement avec les reflets.
J’ai pensé qu’en plaquant le pare-soleil de l’objectif sur la vitre je pourrais quand même en prendre une photo sans reflets.
C’est pas luxe. On devine à droite sur la photo, au mur, un tirage papier d’une photo en noir et blanc, représentant des sculptures romanes, sans doute un tympan. Penser à demander aux amis qui ont fréquenté cette cabane, lesquelles, et pourquoi.
La porte d’entrée était branlante, il aurait suffi de pousser un tout petit peu pour entrer — mais je n’étais pas invité, respect pour le lieu et son passé.
Je suis descendu jusqu’au point bas de la cuvette, photographié la cabane de là, et revenu à la route pensif — si je n’en ai pas de souvenir précis, il ne m’est pas trop difficile d’imaginer que je devais penser aux odeurs de café, aux verres de vin rouge, au jambon et au fromage basques partagés sur le coin de table dans cette cabane ; aux rêves de rivières retrouvées, de continuation de galeries, de chaos franchis, aux supputations géologiques et grasses plaisanteries des ces spéléos un peu foufous qui ont écrit ici de belles pages de l’histoire de la Pierre Saint-Martin.
Non pas que les nouveaux aient moins d’enthousiasme, de rêves, de talent sportif et de rigueur scientifique, et de goût pour l’amitié et les plaisanteries. Ils sont un peu comme les circumnavigateurs d’aujourd’hui sont les héritiers de Gerbault, Moitessier, Tabarly. Mais les pionniers restent les pionniers, surtout quand en plus d’être des explorateurs ils avaient un vrai talent d’écriture. Comme Gerbault. Moitessier, Paul-Émile Victor. Martel, Casteret, Tazieff ; et Queffélec.
Et comme chaque fois, me demandais ce qu’il en resterait l’été suivant, de la cabane de Queff ?