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GG club

Publié le 30 septembre 2019

Je me souviens de ces douze mois interminables marqués par l’ennui et les petites humiliations quotidiennes, la révolte contre un système et des gens qui n’étaient pas dans notre logique. Mais aussi d’avoir lu l’intégrale de St Exupéry en Pleïade (ça loge dans la poche de cuisse du treillis), vautré dans un camion qui puait l’essence (SUMB : Simca Unic Marmon Bocquet), qu’on était censés laver tous les jours, vidanger toutes les semaines, et repeindre tous les mois. Même Citadelle, en entier : imagine Le Prophète de Gibran, mais sur 500 pages, non relues et finalisées par l’auteur. J’envoie une boîte de caramels à qui me dira avoir lu Citadelle en entier sans s’endormir dessus.

Mais aussi de belles amitiés fraternelles, entre appelés et même de rares gradés : un karateka poitevin retrouvé depuis sur Facebook se reconnaîtra, je t’embrasse mon vieux Bruno — mais tu étais bien le seul je crois. Il y avait un tel gouffre entre ceux qui avaient fait ce choix de vie et de carrière, et nous qui étions là par obligation, et que ça coupait des études, du métier, des amours — et que tellement ça nous faisait ch. d’être là.

Le Groupe Géographique (« GG ») de Joigny dans l’Yonne, une sorte d’IGN militaire aujourd’hui dissous depuis que satellites et GPS ont rendu ses missions inutiles, si tant est qu’elles l’aient été un jour réellement, c’était pourtant pas le bagne, ni les paras. Encore moins la guerre d’Algérie de la génération avant nous. Mais quand même l’Armée, donc pas vraiment un club de vacances non plus.

Quoique. On y faisait un peu de sport. On y faisait la sieste. Beaucoup, dans n’importe quelle position, n’importe où, à n’importe quelle heure.

On y faisait aussi et malgré tout un peu de topographie (dans une vie antérieure j’étais géomètre), et pour ça on se baladait pas mal : dans le Nord, surtout, qui est très beau, quoiqu’on en dise, et où les gens sont sympas, à l’époque au moins c’était pas une légende. Et là c’était plus vraiment le « régiman » comme dit Gotlib, c’était plutôt cool.

Et puis les gradés n’étaient pas trop regardants sur la coupe de cheveux. Du moment que les oreilles étaient dégagées et que rien ne dépassait de la casquette, ce qu’il y avait dessous, ils nous foutaient la paix avec (avec les camions c’était pareil, on repeignait sur la crasse, et les fonds de slips les jours de prise d’arme après une marche de nuit sous le treillis de cérémonie impeccable, qu’au garde-à-vous tu n’avais qu’une seule idée, te gratter le fondement : ce qu’on appelait le système kaki dessus, caca dessous).

Du fait de cette libéralité sans doute rare dans l’Armée de terre, on avait tous cette touffe sur le caberlot, qui revient aujourd’hui à la mode dans les vitrines des coiffeurs et chez les d’jeuns. Et une fois sortis du quartier, on n’avait pas trop une tête de mirlitaires.

Et même quand on allait en boîte (enfin moi j’y allais pas, j’ai jamais aimé ça, la danse, le monde, la fumée, la musique qu’on y passe, et draguer j’étais amoureux ailleurs) on disait, enfin les gars disaient, qu’on était du GG Club sans dire ce que c’était — et paraît-il ça marchait pas mal avec les filles, du moins, certaines.

Le regret que j’ai, tu vois, c’est de ne pas avoir fait de photos vraiment, que deux ou trois, alors que j’avais que ça à foutre de toute la p. de journée, pendant toute une p. d’année ; et qu’avec le temps ça aurait fait un reportage sympa sur à quoi on passait notre jeunesse au service de la Patrie.

Mais j’avais juste pas envie, seulement que ça se termine, ces conneries, et le plus vite possible.

Autoportrait
GG Club, Joigny, 1985