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DiY Hammond B3 clonewheel

Publié le 27 avril

Geekeries inside. Pourra attirer les musiciens fauchés intéressés par ce genre de projet ; pour les autres, autant écouter Jimmy Smith ou Rhoda Scott (l’album "The look of Love" avec Patrick Saussois par exemple ) !

Voilà une vingtaine d’années que je tourne périodiquement autour de la question des clones numériques d’orgue Hammond, depuis que j’ai dû vendre mon cher Éminent 2000 Grand Théâtre : un orgue des années 70 monstrueux avec des sons magnifiques, notamment avec son merveilleux Solina String Ensemble intégré (rien à voir avec un sous-vêtement, plutôt les fameux sons éthérés de Pink Floyd ou J-M. Jarre). Il n’y avait pas de place pour lui dans notre nouvelle maison, il me fallait une solution de remplacement plus compacte.

Entre temps, j’avais eu l’occasion d’essayer un vrai Hammond B3 et sa cabine Leslie — au niveau du son, la grosse claque. Même l’Eminent semblait un jouet en comparaison.

Hammond b3 con leslie 122

 

Premiers essais donc, avec le logiciel B4 de Native Instruments qui m’avait un peu déçu, et un clavier MIDI M-Audio. Puis avec l’excellent Beatrix pour Linux, dont le son était bluffant mais ça n’est pas allé beaucoup plus loin que des tests et un peu d’amusement.

Beatrix a depuis été placé par son développeur (Fredrik Kilander) sous licence libre et a évolué en (au moins) deux branches :
 le logiciel embarqué dans l’orgue Viscount Legend (démo), considéré par beaucoup d’organistes comme une re-création quasi-parfaite du B3 (avec l’amplification qui va bien, évidemment) ;
 le non moins excellent logiciel libre setBfree .

Le sentiment que j’avais de ces essais successifs était que setBfree est vraiment une superbe émulation de l’orgue Hammond comme on peut l’entendre ici. Mais qu’en jouer sur un clavier maître en plastique, devant un écran d’ordinateur, sans l’ergonomie d’une console (les fameuses tirettes harmoniques), même en pilotant le logiciel avec une surface de contrôle (Korg Nanokontrol) est une expérience qui relève plus de la pratique du Home Studio que du jeu d’un instrument.

D’où l’idée de s’en rapprocher davantage :
 avec une configuration qui ne serve qu’à ça (« one trick pony »), et pas à piloter aussi des synthétiseurs ou autres instruments virtuels ;
 avec un second clavier, identique et positionné au plus près du premier, comme sur un orgue ;
 des vraies tirettes harmoniques au moins pour le clavier supérieur ;
 une interface de contrôle pour si possible se dispenser totalement de la souris ;
 sans se prendre la tête, parce que je suis très peu bricoleur ;
 le tout, le moins cher possible, vu que je ne suis ni organiste, ni claviériste. Réutilisation de matériel que je possédais déjà, ou acheté sur le Bon coin.

Première version

Ce qui a donné une première version, avec pour caractéristiques :
 deux claviers Alesis V61 superposés, celui du dessus posé sur le premier et calé avec des plaques de mousse. Le toucher de ces claviers polyvalents est un peu lourd pour l’orgue jazz, mais agréable quand même, et ils ont l’avantage d’avoir les contrôles sur le côté plutôt que le dessus : important pour la superposition sans espace perdu entre les claviers. La commande MIDI de vélocité n’est pas utilisée puisqu’il n’y en a pas sur un orgue à roues phoniques.
 un contrôleur à tirettes Crumar D9U acheté en kit à monter soi-même. Seul composant acheté neuf ; il faut un fer à souder fin et un peu de patience, mais c’est facile et amusant [1] ;
 le clavier inférieur ne dispose pas de tirettes, uniquement de 8 presets, ce qui donne quand même une bonne marge de manœuvre (parce que je n’étais pas sûr de réussir à monter le kit).
 setBfree sur un vieux PC Dell avec 2Go de RAM tournant sous Linux Slackware ;
 une carte son Presonus (facultative, ça marche très bien sans) ;
 amplification sur une étagère, elle-même sur plaques de mousse : mes vieilles enceintes de monitoring Samson, rien à voir avec une cabine Leslie mais pour jouer en chambre ça fait le job ;
 la pédale au gros bouton rouge reliée à la carte son n’est pas le siège éjectable, mais une petite boîte à rythmes Mooer Micro Drummer.

Au niveau informatique, c’est simple : les claviers sont programmés (utilitaire du constructeur, utilisable sous Linux via Wine) pour que les diverses commandes correspondent à la configuration par défaut de setBfree. Les claviers sont connectés directement à setBfree grâce au logiciel graphique Qjackctl, pour les tests, puis par un script utilisant les commandes aconnect et jack_connect pour automatiser le démarrage.

C’est déjà beaucoup plus sympa, d’autant que ces claviers ont exactement les contrôles MIDI nécessaires et suffisants (boutons rotatifs, switches, pads) pour contrôler le logiciel (vibrato, percussions, réverbération, presets) sans écran ni souris. Le son est génial, et on se rapproche de la sensation de jouer sur un orgue. L’écran est juste un plus (?) visuel, et la souris ne sert que pour passer l’application en plein écran et éteindre l’ordi.

Mais, deux problème subsistent :
 un bug du firmware des claviers, ou bien des switches défectueux ? qui font changer le canal MIDI sur lequel sont envoyées les notes, quand on actionne un des switches (pour les commandes de percussion par exemple). Le service client d’Alesis est très sympa et réactif, mais ces claviers sont déjà anciens, et remplacés par un nouveau modèle. Ils ont conclu comme moi à un défaut matériel ou logiciel sans solution autre que : ne pas toucher à ce p. de bouton. C’est quand même embêtant.
 l’impossibilité de revenir immédiatement au réglage des tirettes après l’utilisation d’un preset, celui-ci n’étant pas mémorisé (sur un B3, on peut). Ça limite grandement l’intérêt des tirettes, qui sont quand même symboliques du Hammond, composantes essentielles du jeu, et la partie la plus coûteuse du projet.

Et puis, un peu de bois sur les côtés, ça serait plus joli aussi, non ? Et un pupitre à la place de l’écran ? Ce qui nous donne, quelques heures de cogitation et de bricolage plus tard, la version deux.

Version deux

Cette deuxième version passe à la vitesse supérieure !
 Construction d’une console en bois très simple, (librement...) inspirée de celle du Viscount Legend, en planches de sapin et tasseaux.

 Le PC est remplacé par un Raspberry Pi, petit, silencieux, faible consommation, fonctionnant sans clavier ni écran (« headless »). Il est caché dans la caisse derrière les claviers, de même que la carte son. Pour info, j’utilise un RPi 4 avec 4 Go de RAM. Mais ça marche aussi bien avec un RPi 3B+ avec 1 Go. Carte son externe obligatoire dans les deux cas.
 Pour limiter la demande électrique sur le Pi, les claviers, la carte son et le contrôleur à tirettes sont branchés sur un hub USB alimenté ;
 Le bug des claviers est corrigé par un patch du logiciel Pure Data (Pd pour les intimes) entre les claviers et setBfree : Pd reçoit les notes des deux claviers sur n’importe quel canal MIDI et les renvoie à setBfree sur le bon canal (1 pour le clavier supérieur, 2 pour l’inférieur).

 Tant qu’à passer par Pd, j’ai ajouté la possibilité de mémoriser, et de rappeler, le réglage des tirettes : on passe ainsi de manière transparente d’un preset, aux tirettes, et réciproquement, comme sur un B3, youpi !
 Les presets sont aussi créés et appelés dans Pd plutôt que dans les fichiers de configuration de setBfree : ainsi tous les réglages sont groupés dans un seul fichier, plus facile à modifier en temps réel.
 Un son est joué au démarrage, quand le système est prêt.
 Toujours avec Pd, l’arrêt ou le redémarrage du Pi se fait directement par le clavier inférieur (5 secondes sur la molette de Pitch Bend) pour éviter les extinctions « à la sauvage » par la coupure d’alimentation, préjudiciable à la carte SD.
 Du fait de l’utilisation du Raspberry Pi, setBfree tourne en mode console, sans interface graphique, pour économiser la mémoire. Pour intervenir sur le logiciel (modifications, tests...) on passe par le réseau (protocole SSH, depuis ordinateur distant ou smartphone). Pd fonctionne aussi sans interface graphique.
 Malgré la puissance modeste du Pi, et l’interface Pure Data entre les claviers et setBfree, aucune latence (délai entre l’enfoncement de la touche et le son) n’est perceptible. Ça fonctionne vraiment très bien !

Dans cette configuration on oublie totalement qu’il y a un ordinateur derrière les claviers, et on se rapproche vraiment beaucoup des sensations de l’orgue.

Restent quelques améliorations à apporter :
 la finition de la caisse qui sent le bricoleur inexpérimenté !
 un jeu de tirettes, c’est bien, mais avec un deuxième pour le clavier inférieur, ça sera mieux (on laisse la place pour) ;
 sur les petites enceintes, ça manque de basses, et sur l’ampli de basses, ça manque d’aigus. Et ma carte son basique ne possède qu’une sortie ;
 une pédale de volume ;
 dans un avenir plus lointain, un pédalier.

Cette seconde version a aussi fait changer un peu ma perception du projet : le plaisir de faire et d’améliorer, devenant plus important que l’objet terminé (en mettant de l’argent de côté ou en revendant quelques instruments un Viscount Legend n’est pas inaccessible, et tout de même mieux fini...) Pour un gars qui déteste généralement le bricolage et dont la compétence dans ce domaine se résumait à changer une ampoule électrique, c’est une sensation nouvelle, et pas désagréable.

Pour toutes ces raisons, il faut envisager une...

Version 3
À suivre !


[1Edit : je viens d’en monter un second pour le clavier inférieur, et je modère un peu cet avis. Il y a beaucoup de soudures à faire sur les connecteurs ; c’est très petit, et une soudure mal faite ça ne marche pas. J’y suis arrivé du premier coup la première fois, mais pour la seconde, après moult reprises de soudures. Une bonne loupe aide beaucoup, ne pas s’en priver. Ça vaut aussi le coup d’effectuer la programmation de l’Arduino avant de fermer le boîtier, pour les tests (avec aseqdump). En cas de problème, reprendre soudure par soudure en testant à chaque fois. Et en cas de problème avec l’upload sur l’Arduino, vérifiez (sous Linux) que votre compte utilisateur est bien dans le groupe dialout. Si vous n’avez pas d’expérience en électronique, ni l’envie de bricoler vous-même, acheter le contrôleur tout monté, c’est la sécurité.