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La fin de l’Érard

Publié le 17 octobre 2020

On ne saura jamais pourquoi ni comment exactement. Pour avoir connu les affres de la fin d’une longue relation amoureuse avec un demi-queue ancien, et le crève-cœur comme la difficulté de vendre un instrument pourtant restauré, et musicalement merveilleux, mais inadapté aux logements urbains, j’ai ma petite idée.

Ça commence par un piano que plus personne ne joue et qu’on n’accorde plus. La mécanique s’alourdit comme de vieilles articulations sédentaires. Les mites se mettent dans les marteaux et les étouffoirs ; avec le chauffage central l’hygrométrie incontrôlée fait jouer et fissure le bois et/ou rouiller les cordes. Le restaurer personne n’y pense, et puis ça coûterait une fortune, pour un instrument qui restera invendable. Les bouffeurs de gammes et d’études préfèrent les robustes mécaniques japonaises (mais sans âme ?) aux sonorités nacrées de la délicate facture française du début XXième — et puis déjà un quart de queue c’est souvent difficile à loger, alors un demi, à moins d’avoir un château en Périgord, oublie.

Vient le moment où la dernière propriétaire meurt, ou, ce qui revient au même, part en Ehpad. Il faut vider l’appartement, le piano personne n’en veut dans la famille, le brocanteur dit qu’il ne vaut rien et qu’il n’a pas la place, vous aurez de la chance si vous trouvez à l’enlever sans frais, un piano à queue on ne peut même pas le transformer en bar. Dernière annonce sur le Bon coin, dernière chance : donné à qui viendra le récupérer avant lundi. Il y a bien une association, Fan d’Érard, qui sauve quand elle le peut ces merveilleux pianos. Mais là ça ne s’est pas fait. Je l’avais vu déjà sur leur page Facebook, il avait encore ses ivoires. Je ne pensais pas que deux jours après quand je passerais moi aussi rue Marcadet il y serait encore.

Mais là, c’était bien fini.

Rue Marcadet
Paris, juillet 2020