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L’arbre aux bourgeons

Publié le 27 mai 2020

Je me souviens que pour prendre la photo j’avais marché dans la neige jusqu’aux genoux, étais tombé plusieurs fois parce que dessous c’était plein de rochers glissants. Il y avait du vent et les gants étaient sans doute restés dans la voiture, parce que je me rappelle l’onglée, et comme j’avais eu du mal à régler et déclencher l’Hasselblad.

J’étais content de ma photo, dans laquelle je voyais une illustration romantique de la rigueur de l’hiver, et un arbre mort, à la manière de Caspar-David Friedrich. Et puis je l’ai montrée à un couple ami et lui m’a dit « mais non, il n’est pas mort du tout ton arbre, regarde, il est plein de bourgeons... au contraire moi je vois la vie qui revient, et reprend le dessus ». J’étais tellement dans mon souvenir du froid et des doigts glacés que même en effectuant la repique le nez sur le tirage, je n’avais pas remarqué les bourgeons : on ne voit jamais que ce que l’on a envie de voir.

Ces amis ont perdu leur fils dans un accident quelques temps après. Je n’osais pas les appeler ; je n’aime pas le téléphone et quoi dire dans ces moments qui ne soit pas stupide, convenu ou déplacé. J’ai envoyé la photo avec un petit mot laconique, sachant qu’ils ne pouvaient pas avoir oublié cette conversation.

C’est lui qui m’a téléphoné en me disant qu’ils avaient bien reçu le message, mais que j’avais été bête d’avoir peur de les appeler, qu’ils avaient au contraire besoin de contacts et d’amis comme jamais ; et que leur vie allait continuer.

L’arbre aux bourgeons
Aubrac, 1991