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Le vieux basson

Publié le 29 juillet

I live in a house of ruin
I got no one to comfort me
I play upon my old bassoon
this sad symphony

Lewis Furey, "Lewis is crazy"

J’ai commencé à jouer du basson peu de temps après être arrivé à Paris, ça commence à dater un peu. Parce que j’avais envie de rejoindre un orchestre symphonique amateur qui répétait dans le quartier, mais n’avait pas de place pour un hautbois. Un basson, c’est un peu comme un gros hautbois, je pensais. Après quelques semaines de location, chance de trouver sur le Bon coin un beau Buffet-Crampon à prix raisonnable, chose doublement rare (le basson français héritier du basson baroque et romantique étant sinon en voie de disparition, devenu une espèce marginale par rapport à son cousin allemand, ou fagott, inventé au XIXe siècle par le facteur Heckel). Je me suis lancé là-dedans comme tout ce que je fais (au début) : vent-du-cul. Et six mois plus tard j’intégrai l’orchestre.

Deux ans plus tard, je suis tombé sur l’annonce de ce vieux basson des années 30 à 50 (difficile à savoir, il y a un trou dans les archives Buffet-Crampon), dans son jus, dormant depuis des décennies. J’avais déjà retapé un hautbois, j’ai eu envie de le remettre en état. Une cinquantaine d’heures à polir les clés oxydées, nettoyer et nourrir le bois, avant de l’amener au luthier pour le retamponnage.

Cet instrument sonne comme sonnaient les bassons à l’époque de Maurice Allard, Fernand Oubradous ou Henri Helaerts : doux, un peu nasal, fragile, pas toujours très juste (pour ce dernier point et en ce qui me concerne, ça n’est peut-être pas trop la faute du basson non plus). Mais incroyablement expressif. Le basson moderne a depuis gagné en puissance, homogénéité, en se rapprochant un peu du fagott. Mais avec l’ajout de nouvelles clés il a aussi pris du poids, et il a perdu, je trouve, un peu de son âme. Les amateurs de vieux pianos me comprendront, c’est comme la différence entre un Pleyel 1920 et un Yamaha moderne.

Pour notre petite vidéo à Sainte-Engâce avec Brice et Didier, s’agissant musique du XIXe siècle, c’est celui-là que j’avais apporté (son soubassophone ayant lui aussi, pas mal de décennies au compteur).

 

Mais à l’orchestre je prenais toujours le moderne, pour faire sérieux. Et puis j’ai eu la chance de rencontrer Théo Sarazin, jeune basson solo de l’opéra de Paris. Il a essayé mon cher octogénaire, et m’a raconté que son collègue de pupitre jouait un instrument de la même époque (légèrement modifié).

Je me suis dit que si ce type d’instrument était assez bon pour un soliste de l’Opéra, alors il devait l’être aussi pour moi, très médiocre deuxième basson dans un orchestre d’amateurs. Et sans complexe, ni regret à ce jour, revendu le moderne.

Tonnay-Charente, 2022
Tonnay-Charente, 2022