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Les kayaks rouges

Publié le 16 mars

C’était dans la grange qu’on n’a jamais appelée autrement que le fenil (qui je pense, ne devait servir au foin qu’à l’étage) de mon cousin Jean-Claude, qui avait repris et restauré la maison de ma grand-mère, au cœur du marais poitevin. Monter au fenil quand j’étais gamin était une aventure : c’était haut, et il manquait un échelon dans le haut de l’échelle, remplacé par une barre d’acier rouillé qui tournait dans son logement. Le rétablissement de l’échelle au plancher et réciproquement était aussi une prise de risque.

Là-haut il y avait plein de trucs dont je ne savais généralement pas à quoi ils servaient, du matériel de pêche sans doute principalement, d’apiculture aussi ; et à une époque, un os de baleine que le cousin Bibi avait récupéré sur un cétacé en décomposition aux Sables d’Olonne, et qui avait gardé longtemps l’odeur. En fait le plus excitant c’était la montée à l’échelle, et de se trouver si haut perché au-dessus du jardin (quand je montais ensuite à l’échelle des pompiers, 25 m, c’était un peu la même sensation : j’avais la trouille et j’aimais ça, à la fois).

Cette visite est la dernière qu’on ait fait du vivant de Jean-Claude, emporté par la maladie de Charcot [1] en quelques mois. Le diagnostic n’était pas encore officiel. Il y avait là ses chers kayaks (aveugle, mais sportif enragé, il avait traversé la Manche en travers de Jersey au Cotentin, distance plus longue que la traversée Calais-Douvres pour laquelle il n’avait pas eu l’autorisation). Et c’est la dernière photo que j’ai de lui, avec la Plus belle fille du monde.

Les deux kayaks rouges sous le fenil, c’est moi qui les avais fabriqués, dans les années 80. Un pour moi, un pour la Fille que j’aimais à l’époque. Je m’étais trompé dans le dosage du durcisseur pour le mien, il avait fallu lui remettre des kilos de gelcoat ; il était moche, pesait un âne mort, et malgré cela il a toujours pris l’eau.

Quand Bibi est parti, je me suis demandé si je ne demanderais pas à sa fille de récupérer ces deux kayaks, pour naviguer sur la Charente ou la Boutonne. Et puis me suis dit que depuis toutes les années qu’ils sont là, leur place est dans le fenil, avec toute l’armada nautique du cousin. Elle en fera ce qu’elle voudra.

Kayaks
Chez Bibi, Damvix, 2022

Voir aussi Crac kayak, et Kids kayaking


[1Sclérose latérale amyotrophique ou SLA, une saloperie de maladie que je ne souhaite à personne.